11 Épisode 1 : Un voyage plein de surprises (1/8)

Par un après-midi étouffant d’été, j’ai réservé une place dans le rapide Le Caire-Alexandrie qui file à vive allure vers la cité balnéaire, « deuxième capitale » de l’Égypte comme aiment à le préciser, avec un brin de fierté, les Alexandrins.
La campagne égyptienne, irriguée par le Nil, est ici verdoyante. D’ailleurs, vue d’avion, elle ressemble à un long serpent vert qui suit les méandres du grand fleuve.
Mais, au delà des champs de blé et de coton, au delà des palmiers et des roues à eau qu’actionnent de petits ânes en tournant en rond, les sables brûlants du désert ne sont pas loin…
22 Épisode 1 : Un voyage plein de surprises (2/8)

Dans la fraîcheur du wagon première classe, les voyageurs autour de moi parlent bruyamment de leurs vacances dans la cité fondée par Alexandre le Grand.
Chaque année en effet, près de deux millions de Cairotes fuient les fortes chaleurs de la Capitale pour retrouver les rivages agréables de la Méditerranée. Comme eux, j’espère aller me reposer sur les plages d’Alexandrie.
Je pressens pourtant qu’une aventure mouvementée m’y attend. Mais pour l’heure je suis trop absorbé par la lecture de mon journal. Normal, pour un journaliste, me direz-vous! Peut-être. Mais, foi d’Omar Le-Chéri, je vous assure que je me tiens toujours au courant de l’actualité… même pendant mes vacances!
33 Épisode 1 : Un voyage plein de surprises (3/8)

Pour la troisième fois, une employée des chemins de fer passe dans le couloir. Elle est plutôt jolie avec de grands yeux de gazelle.
– « Café, thé, ya pacha ? »
– « Je prendrais bien un petit café… Oh, puis non, un thé s’il vous plaît. »
44 Épisode 1 : Un voyage plein de surprises (4/8)

Une fois mon thé avalé, je replonge dans ma lecture. Soudain, je ne peux réprimer ma surprise.
En pleine page et en gros caractères, un titre alléchant s’étend sur toute la longueur:
« Après Tout-Ankh-Amon, la découverte du tombeau d’Alexandre le Grand ».
Quoi? Ont-ils fini par retrouver où a été caché le corps du plus grand conquérant de l’antiquité, le maître de l’Orient et de l’Occident, le fondateur d’un immense empire?
Ce serait une affaire sensationnelle! La plus grande découverte archéologique du siècle, dépassant même celle du tombeau et du trésor du jeune pharaon Tout-Ankh-Amon!
Or, depuis le quatrième siècle après Jésus-Christ, on a perdu la trace d’Alexandre le Grand.
Près de 150 fois au cours des siècles on a cru découvrir l’endroit où avait été enterré le conquérant. Mais jamais, jamais on n’a retrouvé ni le sarcophage ni la momie. Le mystère est toujours resté entier.
55 Épisode 1 : Un voyage plein de surprises (5/8)

Mais cette fois, cela semble sérieux. Je dévore alors l’article des yeux :
« Bien sûr, il est encore trop tôt pour crier victoire, mais si elle se confirmait, ce serait la plus prodigieuse découverte archéologique du vingtième siècle après celle du tombeau de Tout-Ankh-Amon! »
C’est par cette déclaration pleine d’optimisme que l’archéologue Khalil Hussein a accueilli la décision du Ministère de la Culture et de l’Organisme des Antiquités de lui donner l’autorisation d’ouvrir un nouveau chantier de fouilles.
Après plus de dix ans de recherches, le savant est convaincu de trouver le tombeau du grand conquérant dans les sous-sols de la mosquée Nabi-Daniel, sur la rue du même nom qui rejoint la place de la gare à la mer. Sa thèse est d’ailleurs partagée par plusieurs missions archéologiques étrangères qui travaillent en Égypte.
Une malédiction?
Déjà, en 1960, un journal local publiait le témoignage d’un employé centenaire de la mosquée.
Celui-ci affirmait que Mohammed-Ali (NDLR: pacha d’Égypte entre 1804 et 1849) était au courant de l’existence du tombeau d’Alexandre au-dessous d’un temple détruit. C’est d’ailleurs pour le dissimuler qu’il aurait fait construire une mosquée à son emplacement. Selon ce vieil employé, il existerait une « malédiction d’Alexandre » qui aurait déjà causé la mort soudaine de trois princesses et d’un prince de la dynastie de Mohammed-Ali.
L’employé prétendait avoir lui-même pénétré dans un couloir sous la mosquée et, au fond d’un puits, il serait tombé sur une « porte en or pur », derrière laquelle se trouverait le tombeau. En remontant du puits, il aurait été à son tour frappé par un mal mystérieux qui devait le clouer au lit pendant 6 mois »…
Fascinant!
66 Épisode 1 : Un voyage plein de surprises (6/8)

En dessous, dans un encadré, je poursuis ma lecture avec avidité :
« Nombreuses sont les théories sur l’emplacement du tombeau d’Alexandre.
Outre celle de la mosquée Nabi-Daniel, il existe de nombreux arguments en faveur du cimetière latin de Bab Charki où se trouvent les vestiges d’un très beau monument en albâtre.
On pense aussi que les restes d’Alexandre pourraient se trouver quelque part au croisement de la rue El-Horreya et de la rue Nabi-Daniel. A moins que le sarcophage du conquérant macédonien n’ait jamais quitté l’ancienne Memphis, à une vingtaine de kilomètres du Caire.
D’autres historiens émettent l’hypothèse qu’il aurait été enseveli près du temple d’Amon dans l’oasis de Siwa, près de la frontière libyenne. C’est là, en effet, qu’Alexandre, après sa prise facile de l’Égypte et avant de se lancer à la conquête de l’Asie, fut appelé « fils du Dieu Amon » par les prêtres égyptiens ».
Eh bien, me dis-je en moi-même, si je m’ennuie sur la plage, j’irai faire un petit tour rue Nabi-Daniel!
77 Épisode 1 : Un voyage plein de surprises (7/8)

Mais déjà, le train arrive en gare d’Alexandrie. L’esprit ailleurs, je replie machinalement mon journal, attrape ma valise et sort vite de la gare en suivant le flot des voyageurs.
Dehors, le vent vif et salé de la mer Méditerranée glisse dans les rues de la cité balnéaire jusqu’à la gare. Une colonie de taxis aux couleurs vives défile dans le bruit assourdissant des klaxons.
88 Épisode 1 : Un voyage plein de surprises (8/8)

– « Rue Nabi-Daniel… Et en vitesse ! »
– « Inch’Allah ! »
J’ai parlé sans réfléchir, tout absorbé par l’article troublant que je venais de lire. La malédiction, la prodigieuse découverte, la porte d’or pur, les équipes d’archéologues prêtes à engager immédiatement les fouilles… tout cela se bouscule dans ma tête et m’empêche de raisonner. Mais que vais-je donc faire rue Nabi-Daniel?
99 Épisode 2 : Klaus, la rencontre (1/7)

Que suis-je donc venu chercher rue Nabi-Daniel ? L’article que j’ai lu dans le train m’a à ce point troublé que c’est la seule destination que j’ai pu indiquer au chauffeur de taxi.
Je suis donc rue Nabi-Daniel! Comme d’habitude à cette heure de la journée, elle est pleine d’une foule multicolore. Les bouquinistes occupent une partie de la chaussée et réduisent un peu plus le passage des piétons qui marchent au milieu d’un concert de klaxons.
1010 Épisode 2 : Klaus, la rencontre (2/7)

« Salam, eh, Monsieur Omar! »
Un militaire débonnaire m’interpelle avec chaleur. Une vieille connaissance!
Sans faire attention, je suis arrivé aux pieds d’une grande bâtisse rose que je connais bien : le Centre culturel français.
Je décide donc d’y entrer pour me reposer un peu des fatigues du voyage.
1111 Épisode 2 : Klaus, la rencontre (3/7)

-« Tiens, qui voilà?!, s’exclame Moustafa quand j’apparais
dans son café « Le Nerval ».
-« Qu’est-ce qui t’amène dans notre bonne ville d’Alexandrie?
Une femme? Un complot? La reconstruction du phare d’Alexandrie
en allumettes? » Moustafa est toujours curieux et farceur.
Avec mon air le plus mystérieux, je lui glisse à l’oreille:
– « Je suis sur la piste du tombeau d’Alexandre! »
1212 Épisode 2 : Klaus, la rencontre (4/7)

-« Quel scoop! », lance Moustafa dans un grand éclat de rire. » Vous êtes cent cinquante à le rechercher depuis le début du siècle! Que la chance t’accompagne! Ah! Ah! Ah! »
-« Moque toi, moque toi… Mais sers moi un café ou un jus de mangue fraîche! »
Et tandis que l’ami Moustafa s’active en cuisine, je commence à discuter avec mon voisin de comptoir.
1313 Épisode 2 : Klaus, la rencontre (5/7)

Klaus Meyer est allemand et un peu routard. A la suite d’une déception amoureuse, il a abandonné sa vie réglée comme une montre suisse pour parcourir le vaste monde à la recherche d’émotions fortes et d’aventures. Il pense même à s’installer un temps à Alexandrie.
-« J’ai une obsession, me confie-t-il avec entrain, et c’est … ce fameux tombeau d’Alexandre! »
Décidément, me dis-je en moi-même, le destin s’amuse!
Je poursuis alors la discussion:
-« Que pensez-vous de cette nouvelle hypothèse dont on parle aujourd’hui dans les journaux?
1414 Épisode 2 : Klaus, la rencontre (6/7)

– « Sous la mosquée Nabi-Daniel? Mais ça n’est pas nouveau! », s’agace-t-il en secouant la tête en signe de désapprobation.
Un silence passe et j’ai comme le sentiment d’avoir déçu mon nouvel ami. Mais il reprend bientôt:
– « Savez-vous que les archéologues de la mission polonaise qui travaillent depuis tant d’années sur le théâtre romain n’ont jamais eu l’autorisation d’aller dans les sous-sols de la mosquée « Nabi-Daniel »? »
– « J’ignorais… »
– « Que diriez-vous d’une petite visite à la mosquée Nabi-Daniel? » me lance-t-il soudain.
Surpris, j’en avale mon jus de mangue de travers.
– « Vous me croirez si vous voulez, mais moi, j’y vais comme ça me chante, dans ces fameux sous-sols. Et ce qu’on y trouve est bien intriguant! »
– « Vraiment? dis-je en écarquillant les yeux, eh bien j’accepte et votre jour sera le mien ».
– « Parfait! tranche Klaus. Disons: ce soir à sept heures précises, devant la mosquée! »
1515 Épisode 2 : Klaus, la rencontre (7/7)
– « Ah mon cher Omar, j’ai bien cru que vous ne viendriez pas et que vous m’aviez simplement pris pour un vieux fou avec mes histoires d’Alexandre! »
Un clin d’oeil complice et voici Klaus qui passe le portail de la mosquée, salue le gardien qui lui fait de longs salamalecs, et file dans la cour jusqu’à un grand puits.
– « Voilà! C’est ici! »
Une échelle sort du trou où Klaus m’invite à descendre. Le gardien qui semble habitué aux visites un peu bizarres de Klaus me sourit d’un air entendu. C’est à n’y rien comprendre. Mais déjà Klaus enjambe le bord du puits en s’engage dans les profondeurs. La curiosité en éveil, je le suis tandis que le gardien disparaît sans faire de bruit.
1616 Épisode 3 : Une désagréable mésaventure (1/2)

Un trou. C’est un trou sombre dans lequel je descends, agrippé à une échelle branlante. Comme la nuit commence à tomber à l’extérieur, je distingue difficilement les parois de briques humides. En bas, Klaus doit être déjà arrivé car je l’entends qui fouille dans son petit sac à dos. Et soudain, la lumière est!
– « Décidément, vous avez tout prévu! », dis-je en posant le pied par terre.
– « Ne croyez pas cela, répond Klaus en riant, la dernière fois que je suis venu ici, je n’avais que des allumettes. Je n’ai pour ainsi dire rien vu, mais je me suis bien brûlé les doigts! »
Un bruit me fait sursauter.
– « Ne craignez rien, ce ne sont que des chauve-souris que nous dérangeons dans leur sommeil ».
Klaus éclaire alors une voûte sous laquelle une colonie de ces curieux animaux pend la tête en bas. Mais mon guide est déjà plus loin, près d’une énorme dalle de pierre très abîmée qu’il balaye avec sa lampe-torche en chassant trois gros cafards noirs.
– « Venez un peu ici et dites moi ce que vous en pensez ».
– « Eh bien… » Je suis bien incapable de répondre.
– « Je vous rappelle qu’au dessus de nous il y a une mosquée, poursuit doctement Klaus. Or cette dalle de marbre qui ressemble fort à une tombe n’est pas orientée dans la direction de la Mecque selon ma boussole. Curieux, n’est-ce pas? Si quelqu’un est enterré ici, ce n’est forcément pas un musulman! »
La théorie de ce professeur archéologue d’El-Azhar serait donc vraie? Le fameux tombeau d’Alexandre que tout le monde cherche depuis tant d’années serait-il sous cette dalle de marbre toute rongée par le temps?
– « C’est tout de même étrange, dis-je, qu’un si grand personnage, comme Alexandre, soit enterré de manière si simple ».
– « S’il y a un mystère à résoudre dans la mosquée Nabi Daniel, reprend Klaus, peut-être n’a-t-il rien à voir avec Alexandre le Grand. Mais suivez-moi ».
Nous avençons donc un peu dans un long couloir de fines briques rouges qui ressemble beaucoup à la plupart des constructions de l’époque romaine. Bientôt nous stoppons devant un mur.
« Vous souvenez-vous du témoignage de l’ancien gardien publié par votre journal?me demande alors Klaus Meyer. Il prétendait qu’il avait trouvé une porte en or pur au fond d’un couloir. S’il n’a pas rêvé, ce doit être ici!. »
En fait de porte, il n’y a qu’un mur de briques tout aussi ancien que les parois du couloir. Klaus ramasse une pierre et commence à le sonder pour trouver un passage secret. Pas d’écho, rien ne sonne creux. Il semble évident qu’il n’y a jamais eu de porte ni de passage derrière ce mur.
– « La seule solution, mais ce sont les recherches des archéologues qui nous le diront, c’est que le passage soit comblé par de la terre et des pierres comme c’était souvent le cas dans les tombeaux de l »Ancienne Egypte ». Puis après un silence, Klaus reprend, songeur: « Si Alexandre est derrière ce mur, qui est sous la dalle là-bas? Peut-être personne… »
Klaus parle vraiment de manière surprenante. Alors qu’il y a quelques heures il était prêt à affirmer que le tombeau d’Alexandre se trouvait bien là, il semble maintenant ne plus y croire.
« Vous savez, me dit-il enfin, j’ai beaucoup de doutes. Le gardien de la mosquée appartient à la même famille que celui qui a parlé de la porte d’or pur et de la malédiction d’Alexandre. Il m’a confié que son grand-père était mort à moitié fou et qu’à la fin de sa vie, il racontait n’importe quoi. Que n’aurait-il pas révélé à un journaliste pour pouvoir être cité dans le journal? Son témoignage n’a peut-être aucune valeur ».
Faché de cette critique voilée du travail des journalistes (que je suis!), je m’apprête à protester mais des bruits de pierres qui roulent du côté du puits me coupe la parole.
Tac, Tac, Toc… La surprise passée, nous sortons vite du couloir , levons les yeux au ciel et… nous découvrons soudain que l’échelle n’est plus là!
1717 Épisode 3 : Une désagréable mésaventure (2/2)

« Ohé, ohé, ohé! »
Nous crions d’une seule voix.
« Ohé, ohé, ohé! »
Nous avons bien crié pendant une heure. Rien, zéro, le silence total avec seulement le bruit de la ville qui paraît très loin. Et l’obscurité qui s’épaissit. Il est environ 10 heures du soir. La prière est passée et la prochaine sera vers quatre heures du matin. Qui pourrait nous entendre crier entre-temps?
Klaus éteint sa lampe.
– « Il ne sert à rien de gaspiller son énergie. Mieux vaut prendre son mal en patience ».
J’admire son calme et son sang-froid. Même si une nuit au fond de ce trou noir et humide ne me fait pas peur, je ne peux toutefois pas assurer que cette aventure soit de mon goût. Quand je pense qu’un bon lit m’attend à l’hôtel!
« Mais qui a bien pu enlever l’échelle? Ce n’est tout de même pas le gardien?! » Mes questions ne semblent pas intéresser mon compagnon qui continue, dans l’obscurité totale, à sonder les murs.
Soudain, il s’écrie: « La preuve est faite que nous dérangeons quelqu’un en recherchant le tombeau d’Alexandre ici! On veut nous intimider! »
Très énervé maintenant, l’ami Klaus se met à réfléchir à haute voix et à toute vitesse si bien que je n’ai plus qu’à me taire.
« Il est clair maintenant que nous avons été suivis, surveillés, observés depuis le début. Par qui? Quelle bande de truands et d’assassins peut bien s’intéresser à nous? Celui qui a enlevé l’échelle n’est pas le gardien que je connais bien. Son but est de nous empêcher de poursuivre nos recherches. Eh bien, je ne suis pas prêt à lui donner raison. Ah non! Foi de Klaus, et comme disait mon oncle Oskar: « L’échec? Connais pas! ». Attendons le jour, nous finirons bien par sortir de ce trou! »
1818 Épisode 4 : D’étranges indices sur les traces d’Alexandre (1/3)

Combien de temps avons-nous dormi là, sur la terre humide? Quand j’ouvre les paupières, un rayon de lumière éclaire l’intérieur du puits et… je n’en crois d’abord pas mes yeux: l’échelle est à sa place! je réveille aussitôt mon voisin qui dort à poings fermés.
– « Klaus, Klaus, l’échelle est là! Debout… »
En un instant, il est sur pieds et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, nous sommes dehors.
Naturellement, le gardien est tout étonné de nous voir sortir maintenant. Un homme est venu la veille au soir pour lui annoncer que les deux étrangers étaient partis. Il l’a cru sans sentir le besoin d’aller vérifier. Lorsque nous lui demandons des détails et une description du mystérieux personnage qui a enlevé l’échelle, notre gardien n’a bien sûr que des souvenirs très flous. Klaus, sans perdre son calme, se contente de murmurer: « désormais, ouvrons l’oeil, et le bon! »
Pour oublier les mauvaises surprises de la nuit, chacun d’entre nous rejoint son hôtel, une bonne douche, son rasoir et un copieux petit déjeuner. Café turc et croissants au beurre pour moi. Sans doute café délayé et sandwich de routard pour Klaus. Rendez-vous fixé au salon de thé Athinéos, près de la place centrale, pour décider de la suite des opérations. Mes envies de plage et de sieste m’ont quitté depuis longtemps et je ne pense plus qu’à Alexandre et son tombeau perdu. Je retrouve donc vers 10 heures mon ami Klaus déjà occupé à déguster un gros morceau de gâteau à la crème et au chocolat.
– « Bonjour, mon vieux, me lance-t-il en me voyant franchir la porte vitrée. Encore fatigué d’hier soir? Mais asseyez-vous plutôt et écoutez ».
Les désirs ou les invitations de Klaus ont quelque chose d’un ordre sans appel. Je m’assieds donc. Il me raconte alors qu’un Grec s’était épuisé voici quarante ans déjà à creuser dans toute la rue Nabi-Daniel. Il avait de vieux documents de ses arrière-grands-parents et était persuadé de trouver enfin le tombeau du grand conquérant. Les autorités de la ville l’avaient soutenu dans toutes ses recherches… en vain. Il était reparti en Grèce ruiné et désespéré.
1919 Épisode 4 : D’étranges indices sur les traces d’Alexandre (2/3)

Klaus, par hasard (mais le hasard existe-t-il?), a retrouvé chez un vieux bouquiniste un des livres de ce Grec. Il s’agit d’un ouvrage de 1899 publié en anglais sur le règne des Ptolémées, les pharaons grecs de l’Egypte. Le premier d’entre eux, général d’Alexandre, avait détourné vers l’Egypte le corps du grand conquérant dans son sarcophage d’or qui était alors acheminé depuis Babylone vers la patrie des anciens rois de Macédoine. Pour Ptolémée, garder le corps d’Alexandre, c’était affirmer son pouvoir et sa légitimité de successeur. Il hésita pourtant un peu: fallait-il l’enterrer dans l’oasis de Siwa où les prêtres d’Amon avaient reconnu Alexandre comme « fils de Dieu », ou bien dans la ville qu’il avait construite et qui portait son nom? La tradition parle d’Alexandrie.
Soudain Klaus pointe son doigt au milieu d’une carte de la ville antique qu’il a trouvée chez le bouquiniste. Le quartier se nomme « Soma ». « Ce serait donc là! », s’écrit Klaus d’un air gourmand. L’ami allemand aime parler comme un livre. Le doigt toujours posé sur la carte, il continue son histoire: « L’oracle de Zeus à Babylone avait affirmé que le roi des rois devait être enterré à Memphis, à une quinzaine de kilomètres du Caire actuel. Personne ne s’opposa alors lorsque Ptolémée emmena le corps en Egypte. Mais le grand prêtre d’Amon de Memphis déclara: « N’installez pas le conquérant mort ici car la ville sera alors troublée par des guerres et des batailles! La seule ville qui peut le recevoir est celle qu’il a créée ». Ce fut donc Alexandrie. On parlera alors d’un sarcophage d’or qui, à la fin du règne des Ptolémées, aurait été remplacé par un cercueil de verre. Alexandre aurait ainsi été enterré dans la « tombe du fondateur », au centre du quartier de Soma, au milieu des palais et des temples. »
A mon tour, je regarde la vieille carte de près. Elle a, comme le livre d’ailleurs, de nombreux petits trous, témoins des repas que des myriades de petites bêtes y ont fait depuis longtemps. Soma était un quartier carré comme une case de jeu d’échecs. D’ailleurs, le plan de la ville, avec ses rues qui se coupaient à angle droit, était un plan en damier comme dans les cités modernes qu’on construit aujourd’hui dans le désert. Autour de Soma couraient de larges rues et de longs boulevards. Le quartier était bordé par un jardin public et le grand palais de Ptolémée Ier qui avait réservé toute une partie du bâtiment aux scientifiques, aux poètes et aux philosophes de l’époque. C’était le « Musée » où se trouvait aussi la très célèbre bibliothèque d’Alexandrie. Tout ceci me paraît fascinant et j’imagine la vie de cette grande cité au temps des pharaons grecs.
2020 Épisode 4 : D’étranges indices sur les traces d’Alexandre (3/3)

Mais Klaus n’a pas l’esprit à rêver. Il étale sur la table une carte de l’Alexandrie d’aujourd’hui qu’il avait sans doute trouvée au bureau du tourisme et il commence à comparer les deux plans. Naturellement, toutes les rues ont changé et les seuls points de repère qui restent sont le port et l’île de Pharos où se trouvait le phare d’Alexandrie et où on peut visiter le fort de Qait-Bey de nos jours. Pour aller plus vite, Klaus met les deux cartes l’une sur l’autre et, par transparence, il peut localiser l’endroit actuel du vieux quartier Soma.
– « Ca alors!, s’écrit-il soudain. Regardez, Omar, Soma se trouvait exactement où nous étions la nuit dernière! Le quartier de la rue Nabi-Daniel a été construit dessus ».
– « Mais alors, voilà la preuve que le tombeau pourrait bien être sous la mosquée Nabi-Daniel! »
J’ai dit cela sans réfléchir, presque en criant. Klaus me fait aussitôt signe de parler plus bas.
– « Moins fort, on est surveillé, rappelez-vous! »
– « Ah oui, c’est vrai, pardon. Mais je commence à croire que Nabi-Daniel ne nous a pas dévoilé tous ses secrets ».
Pris soudain par une désagréable impression d’être observé, je me retourne pour dévisager les quelques clients attablés dans le salon de thé. Un homme à grosses lunettes que j’ai remarqué en entrant lit visiblement toujours la même page de son magazine. Bizarre, bizarre… Quand je croise son regard, il détourne les yeux et remonte son journal devant lui si bien que je ne vois plus son visage. Vraiment curieux, me dis-je en moi-même en essayant de garder en mémoire des détails précis sur ce monsieur un peu gros dont les doigts sont chargés de lourdes bagues.
Klaus a pris un autre morceau de gâteau à la crème.
– « Il fait bien chaud aujourd’hui, n’est-ce pas? Pourquoi ne pas se reposer un peu! Nous avons de toutes façons beaucoup avancé », me dit-il en avalant un grand verre de limonade.
– « Je vous propose un programme détente pour l’après-midi: une visite des catacombes de Kom El-Chougafa. Ca nous reposera du tombeau d’Alexandre le Grand, même s’il s’agit toujours de tombes. Et demain, nous retournerons dans les sous-sols de Nabi-Daniel ».
– « Voilà une excellente idée, mais peut-être faudrait-il aussi rencontrer ce professeur-archéologue de l’Université d’Al-Azhar dont nous partageons maintenant les convictions? Il a sans doute des choses très intéressantes à nous apprendre ».
Klaus fait un signe de tête approbateur avant d’ajouter avec un large sourire: « à moins que ce soit nous qui lui apprenions quelque chose! »
2121 Épisode 5 : Le secret des catacombes de Kom El-Chougafa (1/4)

Ce que j’apprécie chez Klaus, c’est son inépuisable énergie. Son esprit semble toujours en mouvement et de nouvelles idées s’y pressent continuellement comme les passagers des taxis collectifs du Caire, à l’heure de pointe. Laisser un temps le tombeau d’Alexandre et la mosquée Nabi-Daniel de côté pour visiter les catacombes, voilà pour me séduire! Depuis deux jours que je suis à Alexandrie, je n’ai en effet rien fait d’autre que passer une mauvaise nuit dans un souterrain humide. Même si je ne ressemble pas le moins du monde à ces touristes en voyages organisés qui prétendent visiter Le Caire, Louxor, Assouan et le Mont Sinaï en deux après-midi, la France en une journée et l’Europe en trois jours, j’aime pourtant pouvoir me dire chaque matin: »Aujourd’hui est un autre jour. Et je vais pouvoir vivre autre chose! »
Quelques rues tortueuses, la colonne Pompée qui émerge d’un jardin, et enfin, après une bonne heure de marche, les fameuses catacombes. Nous descendons d’abord dans cette cité des morts souterraine par un escalier qui tourne comme une coquille d’escargot autour d’un puits. « Regardez, me dit Klaus, les catacombes sont inondées ». En effet, au fond du trou stagne de l’eau claire. Au bout d’un moment, l’espace s’ouvre sur plusieurs couloirs creusés dans la roche, une salle de banquets funéraires et des petites chambres toutes trouées de tombes.
« Superbe! » En face de moi, il y a une pièce sculptée comme un temple. C’est une tombe de l’époque romaine avec des colonnes égyptiennes en forme de papyrus, des serpents gravés sur les murs et des boucliers de pierre de style grec. Au fond, le défunt et son épouse sont représentés en bas-reliefs très réalistes comme toutes les statues romaines, déguisés plutôt qu’habillés à la mode des pharaons. Tout ce mélange de styles fait penser à un décor de film hollywoodien, à « Cléopatra » ou autre péplum au royaume d’Isis. Cependant, il faut marcher sur de vieilles planches de bois posées sur des blocs de pierre pour garder les pieds au sec car, là aussi, l’eau a inondée le tombeau.
– « Si seulement Alexandre avait une tombe aussi belle! », dis-je avec enthousiasme.
– « La sienne devait être bien plus belle! Mais vous savez, continue Klaus, Cléopâtre a remplacé le sarcophage en or massif par un autre en verre car elle avait besoin de toutes ces richesses. Sans doute le tombeau d’Alexandre a-t-il été pillé dès le début par toute la famille des Ptolémée. Et si Mohamed-Ali l’a vraiment découvert avant de faire construire la mosquée Nabi-Daniel au-dessus, il est presque certain qu’il se sera emparé du trésor du grand conquérant… s’il y avait encore un trésor au 19e siècle! »
Tandis que Klaus parle comme un grand archéologue, je remarque que les visages de jeune homme aux cheveux bouclés gravés sur les boucliers et disposés de part et d’autre du cercueil de pierre ressemblent curieusement… à Alexandre lui-même. Je ne dis pourtant rien à Klaus, de peur de faire là une remarque ridicule.
2222 Épisode 5 : Le secret des catacombes de Kom El-Chougafa (2/4)

En sortant, nous passons une dernière fois devant la salle du banquet. Trois grands lits taillés dans la roche et disposés en fer à cheval permettaient, à la mode romaine, de rendre hommage au mort en réunissant là toute la famille autour d’un repas funéraire. J’imagine ce banquet quand, soudain, je vois une armée de fourmis par terre, occupées à nettoyer des morceaux de poterie et des restes de nourriture.
« C’est tout de même incroyable, des gens sont venus manger ici récemment et ont laisser leurs détritus sans prendre la peine de les jeter à la poubelle! »
Pourtant, en m’approchant plus près, je découvre quelque chose de bien étrange.
– « Venez voir, Klaus, ces morceaux de poterie rouge et noire datent de l’époque hellénistique. J’ai vu les mêmes au musée gréco-romain d’Alexandrie ».
– « Comment est-ce possible? Qui peut bien s’amuser à manger dans de la vaisselle antique et à la casser ici? »
Klaus, qui s’est agenouillé, ramasse tous les tessons de poterie et les glisse dans sa poche. « Et bien moi, ça m’arrange, et ça complétera ma collection ».
2323 Épisode 5 : Le secret des catacombes de Kom El-Chougafa (3/4)

Le lendemain, comme prévu, je retrouve l’ami Klaus devant sa pension. Au programme de la journée: la mosquée Nabi-Daniel. Heureux de connaître enfin le fin mot de l’histoire, nous remontons la rue avec entrain. « Mais voyez-vous ces ouvriers devant la mosquée? On dirait bien que les travaux de recherche ont commencé! », s’exclame Klaus. J’ai moi-même vu tout cela. J’ai surtout remarqué que le gros monsieur aux lunettes qui nous surveillait la veille dans un café est là et semble nous attendre.
A peine faisons nous mine de rentrer dans la mosquée que cette homme un peu rond avec des bagues à presque tous les doigts, se précipite sur nous.
« Messieurs, Messieurs, permettez-moi de me présenter: docteur Khalil Hussein. Je suis professeur d’archéologie à l’Université d’Al-Azhar et, comme vous, je suis convaincu de trouver le tombeau d’Alexandre sous cette mosquée ».
– « Depuis quand un éminent professeur d’Al-Azhar espionne-t-il les gens dans les salons de thé? », lui dis-je d’assez mauvaise humeur.
– « Ah, c’est une effroyable méprise! » répète-t-il plusieurs fois avant de nous expliquer toute l’affaire.
Passionné par l’énigme du tombeau d’Alexandre dont on n’a plus de trace depuis les premiers siècles de notre ère, le docteur Khalil Hussein s’est construit au cours des années une théorie et a réuni une vaste documentation. Mais très rapidement, ses ennuis ont commencé. Certains documents disparaissent mystérieusement; les autorisations pour commencer les fouilles – après lui avoir été accordées officiellement – lui sont retirées sans explication; sa maison enfin est cambriolée et toute sa précieuse bibliothèque brûlée tandis qu’une traduction en arabe du 12e siècle de vieux textes grecs et romains traitant du tombeau d’Alexandre lui est volée par la même occasion.
– « Vous comprenez maintenant ma méfiance et ma crainte quand je vous ai vu pour la première fois descendre dans les sous-sols de la mosquée. Je vous ai pris pour des pilleurs, ou pire, pour ceux qui essayent de m’empêcher de poursuivre mes recherches… »
– « Mais alors, coupe Klaus, c’est vous qui avez enlevé l’échelle le premier soir, nous laissant toute une nuit prisonniers dans un trou? »
– « Je suis tellement désolé, assure le docteur vert de honte, mais de vous savoir si près du but alors que je venais juste d’obtenir le droit d’entamer les fouilles m’était insupportable… C’est mon chauffeur qui a retiré l’échelle, puis qui l’a remise quelques heures après. Entre-temps, je m’étais renseigné sur vous. Je suis tellement désolé de mon erreur… »
2424 Épisode 5 : Le secret des catacombes de Kom El-Chougafa (4/4)

Le docteur Khalil Hussein a d’abord cru que Klaus appartenait à ce qu’il appelle « La société secrète des Alexandres ». En effet, il a retrouvé plusieurs fois des menaces gravées en grec ancien sur les murs de sa maison après les cambriolages. Les messages sont signés: Alexandroys, c’est-à-dire: les Alexandres. A plusieurs reprises, le docteur qui voulait consulter des ouvrages importants dans les archives ou les bibliothèques des grands musées en Egypte et en Europe, découvre que quelqu’un est passé avant lui. Le livre est déjà emprunté, ou a disparu, ou les pages principales en ont été arrachées…
– « J’ai alors déniché chez un vieux bouquiniste alexandrin un livre qui avait appartenu à un Grec persuadé de trouver le tombeau d’Alexandre le conquérant. Mais je n’avais ce jour là pas une pièce en poche. Quand je suis revenu quelques minutes plus tard, c’est vous, Monsieur Klaus, qui l’aviez acheté. Je vous ai alors pris pour un des leurs, de ces bandits, de ces assassins ».
Toute cette histoire est si incroyable qu’elle doit être vraie! Klaus sort alors de son sac le fameux livre avec sa carte qui situe dans le quartier Soma le tombeau d’Alexandre et l’archéologue, tout fier, nous fait visiter son nouveau chantier de fouilles dans les sous-sols de la mosquée. Au fond du puits, les ouvriers commencent déjà à s’attaquer au mur qui ferme le petit couloir. « Nous espérons bien trouver la porte d’or pur derrière ces pierres », explique notre docteur avec excitation.
Après s’être longuement salué, promis de se revoir dès le lendemain et abondamment excusé, chacun part de son côté.
Le docteur Khalil Hussein prend toutefois le temps de nous parler d’un autre lieu possible pour le tombeau d’Alexandre: le cimetière latin de Chatby.
En 1936 en effet, l’archéologue italien, Achille Adriani, y a découvert un monument funéraire tout à fait étonnant. Il s’agit d’une chambre étroite construite en énormes blocs d’albâtre et à demi écroulée. Riche et rare, cette construction fait curieusement penser aux tombeaux des princes de Macédoine. Mais hélas, la salle était vide. D’où l’espoir de trouver quelque chose sous la mosquée Nabi-Daniel…
2525 Épisode 6 : Deux tombeaux pour un cadavre (1/4)

Après l’abracadabrante histoire du Docteur Khalil Hussein, pleine de bruits et de fureur, avec sa bibliothèque en flammes, sa maison plusieurs fois cambriolée, les menaces graves en grec antique tracées sur les murs et signées du nom de cette société secrète des « Alexandre », il nous semble, à Klaus et à moi-même, sortir d’un cauchemar. Que pouvons-nous faire ? L’action est nécessaire pour effacer cette désagréable impression d’irréalité. Le Dr Khalil, lui, travaille dans les sous-sols de Nabi-Daniel, oubliant un temps ses mauvais démons et ses persécutions. Bref, nous sommes de trop dans ces parages.
– « Après tout, pourquoi de ne pas suivre son conseil, propose Klaus au bout d’un moment. Qu’avons-nous à perdre ? Notre temps ? Mais nous n’avons que ça ! »
Je retrouve bien là l’optimisme habituel de Klaus. Son art de vivre à lui tient dans une formule : « pourquoi pas ? ». Nous descendons donc la rue en direction de la place Saad Zaghloul pour attraper un tramway. Objectif : le cimetière latin de Chatby. Dans le wagon qui s’ébranle, Klaus qui aime décidément jouer les professeurs d’histoire, se met à énumérer la liste des têtes couronnées qui ont vénéré Alexandre.
– « Ptolémée II Philopater construisit un superbe monument pour la dépouille du grand conquérant. Ptolémée IX, par la suite, remplaça le cercueil d’or par un sarcophage en verre pour que la famille royale puisse contempler les restes d’Alexandre. Cléopâtre, elle, avait tellement besoin d’argent qu’elle prit tous les bijoux et le trésor autour du roi mort. Puis vinrent les empereurs romains qui rendirent à Alexandre ce qui appartenait à Alexandre. Auguste déposa des fleurs et une couronne d’or ; Caracalla y laissa sa cape, sa ceinture et tous ses bijoux ; Septime-Sévère des livres précieux de la grande bibliothèque »
Mais déjà on arrive en vue du cimetière latin. Klaus se lève d’un bon et se laisse glisser dans la foule bigarrée. Je le suis.
2626 Épisode 6 : Deux tombeaux pour un cadavre (2/4)

Le monument d’albâtre est tel que nous l’a décrit le Dr Khalil. Il s’agit d’une large chambre construite avec d’énormes blocs de pierre marbrée et blanche. On voit facilement l’importante restauration de l’archéologue italien qui l’a découvert. La reconstitution de la salle centrale par le professeur Adriani donne une idée claire de ce qu’a été la beauté de ce monument aux temps antiques. L’ensemble devait être vaste avec un passage encadré d’une corniche sans doute fermée par une lourde porte de bronze.
– « Les descriptions anciennes du « Soma » d’Alexandre, me dit Klaus, parlent d’une enceinte, d’un escalier et d’une cour carrée avant la chambre funéraire. Au-dessus du tombeau, on avait construit un temple en l’honneur d’Alexandre. N’oublions pas que les prêtres d’Amon l’avaient reconnu comme un Dieu ! »
– « J’ai peine à croire qu’il y ait eu un temple là-dessus », dis-je à mon tour en désignant le blockhaus d’albâtre.
– « Eh, pourquoi pas ?’ fait Klaus avec un large sourire.
2727 Épisode 6 : Deux tombeaux pour un cadavre (3/4)

Nous sommes bien restés deux heures à étudier toutes les possibilités, assis à l’ombre des arbres aromatiques et des cyprès tout proches.
– « Et s’il y avait eu deux tombeaux d’Alexandre ! »
Klaus ne fait pas attention à mon soupir ironique.
« Si, si ! Imaginons la situation aux temps des Ptolémée. Chacun voulait offrir un monument à Alexandre pour s’associer à son culte. Ptolémée Ier fait construire un superbe tombeau ? Celui-ci par exemple, en dehors de la ville comme c’est la tradition pour les cimetières dans les cités aux plans très modernes de cette époque. Son fils, Ptolémée II Philopater dont j’ai déjà parlé, veut à son tour rendre hommage au grand Alexandre et, par exemple, garder son corps près de lui pour renforcer son pouvoir. Pourquoi dès lors ne construirait-il pas un tombeau près de son palais en plein centre-ville comme le disent certains textes anciens ? Ce serait alors au niveau de l’actuelle mosquée Nabi-Daniel. Au début de notre ère, la ville d’Alexandrie est secouée par des révoltes et des révolutions. Les temples des anciens cultes sont détruits tandis que s’installent les frères chrétiens. On peut imaginer que le tombeau-temple d’Alexandre est parmi les premiers dans les flammes et son trésor parti en fumée ou dispersé aux quatre vents. Et le corps du grand conquérant est réduit en poussière par le feu ou par les coups. A moins que… »
– « A moins que ? »
Curieux, je relance Klaus devenu subitement songeur.
– « A moins que les descendants des Ptolémée l’aient caché avant. Aujourd’hui, c’est peut-être encore à eux que nous avons à faire, du moins à leurs propres descendants ».
– « Que voulez-vous dire ? », dis-je de plus en plus surpris.
– « Je veux dire que la société secrète des Alexandre est soit un groupe de mauvais plaisantins, soit les derniers membres de la famille de Ptolémée II Philopater et de Cléopâtre ! »
Alors que nous parlons ainsi, l’ombre des arbres s’allonge rapidement sur le sol devant nous. Le soleil en effet vient de basculer derrière le mur du cimetière qui est bientôt plongé dans l’obscurité azurée du soir.
2828 Épisode 6 : Deux tombeaux pour un cadavre (4/4)

Quand on est venu frapper à la porte de ma chambre d’hôtel et me réveiller par la même occasion, je suis d’abord surpris puis faché. Nous sommes vendredi et je n’ai pas pour habitude de me faire apporter mon petit-déjeuner au lit. En tout cas, pas à une heure aussi matinale.
– “Qu’est-ce que c’est ?”. En marmonnant ce bout de phrase sans grande originalité, je reprends conscience tout à fait.
– “Téléphone pour vous. C’est un certain Monsieur Klaus. Très important !”, répond la voix du garçon de la réception.
– “Merci, ya Pacha, j’arrive. Juste le temps d’enfiler un pantalon”.
Quelques instants plus tard, je suis au pied de l’escalier, dans les cabines
téléphoniques. Klaus, au bout du fil, est surexcité.
– “Omar, ca y est ! Ils m’ont repéré. Je suis moi aussi sur leur liste noire.
Et vous, n’avez-vous rien trouvé d’anormal dans votre chambre ?”
Si je n’étais pas encore bien réveillé, la voix rapide et sèche de l’ami Klaus
me fait l’effet d’une douche froide. On est loin de la langueur du hammam !
Aussitôt, je l’interroge :
– “Que voulez-vous dire ? Qu’avez-vous donc trouvé de si extraordinaire
dans votre chambre ?”
– “Je vous en ai déjà trop dit , tranche Klaus. Venez immédiatement!
Je vous attends”.
Puis, il coupe la communication. Je reste un temps, l’écouteur à l’oreille,
comme pour me persuader que je n’ai pas rêvé et que Klaus m’a bel
et bien – c’est le mot – raccroché au nez !
2929 Épisode 7 : La malédiction d’Alexandre plane sur nos amis (1/6)

C’est une chambre d’hôtel minuscule à six livres la nuit. Un lit simple en cuvette, une petite table dans un coin aussi râpée et dévernie que l’armoire en style pas très sûr qui occupe à elle seule un tiers de la pièce. Klaus-le-routard aime décidément les vacances à la Spartiate; ce qui, je dois l’avouer, n’est pas vraiment de mon goût. Klaus est là qui m’attend, le nez chaussé de petites lunettes, perdu dans un gros dictionnaire de grec ancien.
– « Vous voilà enfin! Mais regardez-moi donc ça. Qu’en pensez-vous? »
A la vérité, pas grand chose, n’étant pas certain de l’endroit qu’il me désigne du doigt. Soudain, je comprends son émoi. Sur la porte que je viens de refermer en entrant, s’étalent, rapidement tracés à la craie rouge… des caractères grecs antiques!
Tout en bas du texte, je peux facilement déchiffrer la signature: « Alexandroy », c’est-à-dire: Les Alexandres!
– « Mais alors, le docteur Khalil ne nous a pas raconté des histoires! »
Certes non. Presque effrontément, les lettres rouges recouvrent la porte de la chambre qui ressemble ainsi à un tableau de classe ou à un mur couvert de graffiti du métro parisien.
– « J’en ai déjà traduit les trois premières lignes, me dit Klaus avec une pointe de fierté. Et vous savez, je n’ai plus fait de grec ancien depuis ma dernière année universitaire; ce qui remonte à loin! »
Alors Klaus, le nez toujours pris dans ses lunettes en demi-lune, commence sa lecture d’un ton incantatoire:
« Celui qui cherche trop loin la vérité peut se brûler les ailes comme Icare et finir comme lui, tandis que celui qui…
Et voilà où j’en suis. Il ne me reste plus que les deux dernières lignes à traduire ».
Klaus se replonge dans son dictionnaire, glissant nerveusement son doigt sur les pages. « Nous y sommes, attendez… Voilà: tandis que celui qui respecte le sommeil du fils d’Amon connaîtra la félicité. Signé: les Alexandres ».
– « Mais, dites moi, fais-je avec un petit sourire, Icare est bien mort noyé dans la mer. Vous savez nager, j’espère?
3030 Épisode 7 : La malédiction d’Alexandre plane sur nos amis (2/6)

Non, décidément, mon humour n’est pas de circonstance.
– « Soyons sérieux, voulez-vous, lance Klaus sans amabilité. Il s’agit de menaces de mort, de promesses de récompense si nous abandonnons nos recherches et toujours du tombeau d’Alexandre, fils d’Amon comme chacun sait. Mais regardez plutôt ce que j’ai trouvé dans un petit sac en plastique posé contre ma porte ».
Il sort alors une coupe de terre cuite rouge et noire avec des peintures grecques très fines et trois pièces d’argent. Côté face: le visage d’Alexandre coiffé, comme le demi-dieu Hercule, d’une tête de lion.
– « Ca alors, voilà déjà le prix de votre silence et de votre abandon. Ils ne se sont pas moqué de vous, ces pièces sont admirables et cette coupe mériterait d’être au musée gréco-romain d’Alexandrie! »
En observant la poterie sous tous les angles, je me mets aussitôt à penser aux curieux morceaux de vaisselle rouge et noire que nous avons trouvés dans la salle de banquet funéraire des catacombes.
Comme si Klaus devinait mes pensées, il fouille dans ses bagages puis aligne sur la table, un à un, les tessons qu’il a ramassés à Kom el-Chougafa.
Presque identiques!
Les dessins sont visiblement réalisés à la même époque. Les formes aussi sont très semblables. Je retrouve les mêmes bordures recourbées, le même fond vernis, les mêmes couleurs.
– « Nous allons, je crois, refaire un petit tour du côté des catacombes, déclare Klaus avec le sentiment de tenir enfin une piste. En passant, nous irons saluer notre ami le docteur Khalil ».
3131 Épisode 7 : La malédiction d’Alexandre plane sur nos amis (3/6)

Nous nous apprêtons à nous mettre en route quand le réceptionniste de la pension intervient en traînant les sandales pour nous annoncer qu’un certain « Monsieur Khalil » demande à nous parler d’urgence au téléphone.
– « Décidément, dis-je en riant, le téléphone est une invention du destin! »
Mais à l’autre bout de la ligne, l’archéologue ne semble pas plus calme que Klaus.
– « Venez vite! Hurle le docteur Khalil Hussein. Venez vite, on a volé ma découverte! On a volé le sarcophage d’Alexandre! »
Jamais de ma vie je n’ai marché aussi vite. Les rues d’Alexandrie commencent à s’emplir d’une foule doublement en vacances, en ce vendredi matin. Klaus court devant. Je le suis en bousculant au passage tous ceux qui ne se rangent pas assez vite. Pas le temps de s’excuser; le coup de téléphone du docteur Khalil est trop inquiétant. Bientôt, le minaret de Nabi-Daniel apparaît. Notre ami archéologue, avec le peu de cheveux qui lui restent en bataille et le regard terrifié, vient à notre rencontre en courant lui aussi.
– « C’est une catastrophe, une abominable catastrophe! Nous étions si près du but, les ouvriers avaient trouvé l’emplacement de la porte de bronze… Ah, mes amis, ces « Alexandres » me tueront! »
C’est pitié. Le docteur Khalil Hussein se lamente, en larmes, comme un enfant misérable.
– « Allons immédiatement voir ça! », tranche Klaus dont l’esprit d’efficacité résiste à toutes les émotions.
3232 Épisode 7 : La malédiction d’Alexandre plane sur nos amis (4/6)

La mosquée est déserte et tous les ouvriers ont fui, persuadés que la vengeance d’Alexandre est en marche. Klaus se laisse glisser le long de l’échelle, suivi du docteur Khalil et de moi-même. Le sous-sol, avec ses voûtes comme une crypte antique, est dans un désordre indescriptible. Des pelles, des pioches, des lampes traînent ça et là; un petit wagon pour le déblaiement est renversé. Au fond d’un couloir, un gros trou noir attire comme un gouffre.
– « Regardez, hurle l’archéologue, regardez! Le mur a été crevé, la porte de bronze fracassée… Mais regardez cette horreur! »
Horreur en effet! Un frisson parcourt mon corps de la tête aux pieds. Je comprends soudain l’effroi des ouvriers lorsque, ce matin, ils ont découvert cette macabre mise en scène: la porte de bronze défoncée est rouge de sang! On marche d’ailleurs dans des flaques de sang encore liquide.
A terre, des têtes de chats véritables, arrachées sans doute à des pauvres bêtes qui vivent dans toutes les rues de la ville, interdisent l’entrée de la tombe que l’on devine derrière la porte.
Des papyrus roulés, sorte de « hijab » de malédiction, couverts d’écritures maléfiques, sont aussi jetés tout autour.
– « Mais qui sont ces fous qui ont pu faire une chose pareille? »
Klaus est hors de lui. Moi, je suis soudainement pris de vertiges et je me rue vers la sortie, au grand air. L’archéologue me suit, tout aussi malade que moi.
– « Vous aussi, vous vous sentez mal, n’est-ce pas? Je n’arrête pas d’éprouver des vertiges depuis ce matin. Je n’ai pourtant pas du tout peur du sang ». Il s’arrête un temps, pour reprendre son souffle, puis poursuit, d’un air grave: « Je crois qu’il y a une autre raison à ces vertiges. Un ami ingénieur en radioactivité doit venir bientôt avec un compteur. Je veux en avoir le cœur net ».
– « Mais qui sont ces fous qui ont pu faire une chose pareille? »
3333 Épisode 7 : La malédiction d’Alexandre plane sur nos amis (5/6)

Klaus est toujours au fond du puits et ce qu’évoque le docteur Khalil me glace le sang. Au moment où je vais redescendre chercher mon ami aventurier, l’ingénieur Wael fait son entrée.
– « Vite, nous nous dirons bonjour après, lance l’archéologue. Descendons vite! »
A peine sommes nous aux pieds de l’échelle que le compteur se met à sonner sans discontinuer.
– « Il y a une concentration anormale de radioactivité ici », assure l’ingénieur en se dirigeant vers la source des radiations.
Klaus, qui est entré dans la salle du tombeau, repasse la porte de bronze en se tenant la tête, l’air hébété.
– « Klaus, vite, sortez d’ici!
L’endroit est radioactif! »
– « Regardez, s’écrie alors l’ingénieur, il y a des boules de métal par terre. Là, ici, là encore! C’est ce métal qui porte les radiations ».
Il faut sortir immédiatement. En un clin d’œil, nous sommes tous les quatre à l’air libre.
– « Interdiction formelle de redescendre dans les sous-sols avant l’arrivée des spécialistes qui analyseront le taux de radioactivité et enlèveront ces morceaux de métal dangereux ».
Les ordres de l’ingénieur sont catégoriques. « Rentrez chez vous, reposez-vous, mangez des aliments frais et buvez énormément d’eau. Je vous envoie aussitôt un médecin pour vérifier si vous ne courez aucun danger ».
– « Venez tous chez moi, propose l’archéologue. J’ai ma maison de vacances à deux pas d’ici. Mais quelle histoire, quelle histoire! »
3434 Épisode 7 : La malédiction d’Alexandre plane sur nos amis (6/6)

L’appartement de vacances du docteur Khalil est un charmant petit intérieur, un peu désuet et bourgeois avec des meubles de bois sombres à l’anglaise et des plantes vertes dans tous les coins. Nous sommes cependant trop bouleversés par ce qui nous arrive pour visiter les lieux en prodiguant les compliments aimables qui s’imposent, tirés des magazines d’architecture et de décoration. C’est d’ailleurs plutôt dans les termes de la presse spécialisée en diététique que notre hôte nous reçoit.
-« Tenez, voici de l’eau fraîche, des fruits frais: abricots, pommes, bananes… J’ai aussi des sorbets et de la glace. Bref, de quoi se refaire une santé! »
L’archéologue court partout pour nous servir tandis que Klaus devenu très pâle me fait presque peur. Il s’allonge sur le divan et, la main sur les yeux, se prend à répéter plusieurs fois: « Ce que j’ai vu est effroyable… ce que je crains est effroyable!… »
3535 Épisode 8 : Lorsque la réalité dépasse la fiction (1/4)

– “Non, grâce à Dieu, vous n’avez rien!”. C’est avec un “ouf” de soulagement que nous accueillons les conclusions du docteur envoyé par l’ingénieur Wael.
– “Du repos, encore du repos et toujours du repos, voilà le meilleur remède! Surtout pour Monsieur Klaus qui a été très choqué. Gardez tous la chambre, ne sortez pas, ou le moins possible. L’ingénieur Wael m’a dit que la police des Antiquités s’occupe de l’affaire et viendra bientôt vous interroger. J’ai demandé qu’on ne vous dérange pas longtemps”.
Avant de partir, le médecin a le temps de nous prescrire une longue ordonnance avec plusieurs somnifères et de nombreux calmants. Mais nous sommes si fatigués après ces émotions que toute cette chimie n’est pas nécessaire. A peine la porte est-elle refermée derrière le docteur qu’on entend la respiration de Klaus, depuis la chambre d’ami, siffler dans un rythme de dormeur. Je suis sur un divan, dans le salon, et le Dr. Khalil, qui n’a pas pris le temps de s’asseoir une minute, m’apporte un coussin avant de courir chercher un peu d’eau pour Klaus, revient vérifier que je n’ai besoin de rien et sort finalement chercher les médicaments à la pharmacie la plus proche.
Bien au creux du divan, la tête posée sur un coussin plus mou qu’un loukoum, je me mets en position pour m’endormir. Les événements de la journée défilent dans mon esprit à vive allure. Il y a d’abord le coup de téléphone de Klaus, sa découverte de menaces dans sa propre chambre d’hôtel, l’appel angoissé du Dr. Khalil, le sarcophage volé d’Alexandre, la macabre mise en scène dans les sous-sols de Nabi-Daniel, la porte de bronze brisée et conferte de sang, enfin la radioactivité anormale dans ces caves et le délire de Klaus qui répète avant de s’endormir: “Ce que j’ai vu est effroyable… Ce que je crains est effroyable”…
Soudain, je vois un chat géant s’approcher de moi, un chat tout noir, grand comme un homme et qui gronde comme un lion. Les grondements semblent d’ailleurs venir de partout dans la pièce. Il y a bientôt une véritable armée de chats, certains habillés comme les Alexandrins qui se promènent le soir, en rangs serrés, le long de la Corniche. Les grognements sont assourdissants. “Mais que fait donc le Dr. Khalil? Il devrait déjà être rentrer, me dis-je terrorisé. Vivement qu’il arrive pour faire cesser tout cela”. Le grand chat noir se penche maintenant sur moi et me tire une longue langue de serpent, sifflante et verte. Je suis paralysé d’horreur, incapable de crier ou de bouger. Un éclair blanc. Un homme apparaît dans un grand manteau rouge. Il hurle à son tour dans une langue que je crois être du grec ancien… Je le reconnais: Alexandre!
3636 Épisode 8 : Lorsque la réalité dépasse la fiction (2/4)

– “Voulez-vous un verre d’eau?”
De la part d’un Alexandre grimaçant entouré d’une foule de chats menaçants, la question me paraît décallée. Je suis enfoui dans le divan, ruisselant de sueur et glacé de terreur. Mes yeux s’entrouvrent et … c’est le visage rond du Dr. Khalil qui se penche sur moi.
– “Voulez-vous un verre d’eau fraîche? Un thé ou un café? Vous semblez épuisé et votre sommeil est plutôt agité”.
Un cauchemar, tout cela n’est donc qu’un horrible cauchemar! Je me mets à rire nerveusement. “Décidément, cet Alexandre nous rendra tous fous”. Klaus vient d’entre dans le salon. Il paraît à nouveau en pleine forme, le visage reposé et les yeux vifs.
– “Mon cher, vous avez dormi cinq heures sans interruption et moi presque autant. C’est notre ami Khalil qui m’a tout raconté. Que d’émotions, n’est-ce pas!”
– “Et vous, mon cher Klaus, avez-vous aussi rêvé de chats sanglants, de fantômes d’Alexandre et d’autres réjouissances? Vous étiez dans un tel état ce matin”.
– “Naturellement, mais j’ai mieux à vous raconter. Pendant votre sommeil, l’ingénieur Wael est venu nous apporter les premiers éléments de ses recherches. Le métal qui a été retrouvé dans le sous-sols de la mosquée est bien radioactif. Il s’agit d’une forte concentration d’uranium naturel sous forme de boules provenant selon lui d’une météorite. Le but des mystérieux voleurs du sarcophage d’Alexandre était bien d’irradier toute personne qui entrerait dans le tombeau profané”.
A écouter Klaus, tout me revient en mémoire.
– “Mais, savez-vous que dans votre délire, vous avez parlé de visions terrifiantes? Nous avons été très intrigués avec le Dr. Khalil”.
– “Oui, reprend l’archéologue avec vigueur, racontez nous un peu ces choses terrifiantes que vous avez vues. Vous avez même répété à plusieurs reprises: ce que je crains est effroyable!?”
3737 Épisode 8 : Lorsque la réalité dépasse la fiction (3/4)

Malgré la gravité de la situation, je sens bien que Klaus Meyer n’est pas mécontent de nous tenir ainsi en haleine, en attente de révélations.
– “Eh bien, voilà…” commence-t-il d’un ton grave et d’un air mystérieux. Le Dr. Khalil s’est assis dans un fauteuil et a chaussé ses lunettes, pour mieux entendre sans doute, tandis que je me tiens bien droit sur le divan.
– “En rentrant dans le tombeau profané d’Alexandre ce matin, j’ai été saisi d’horreur pour deux raisons au moins. D’abord, sur la dalle de marbre blanc où devait être posé le sarcophage, il y avait un cadavre de chat complètement écorché, comme un lapin dont on a arraché la peau pour le saigner. Là encore, du sang partout. Mais surtout, au mur, une inscription en grec ancien renouvelait les menaces que j’ai lues ce matin sur la porte de ma chambre d’hôtel. Vous imaginez mon émotion! Naturellement, je n’ai pas tout compris, mais assez pour être terrorisé. Les inscriptions commençaient ainsi: “Celui qui pénètre ici et lit ces mots est déjà mort et brûlera dans le feu du ciel…” La malédiction d’Alexandre n’est pas une parole en l’air. Au moment où je lisais ces mots, ma tête s’est mise à me tourner et j’ai bien cru ma dernière heure arrivée”.
Comme par un malicieux hasard, la pendule sonne à ce moment sept heures. Déjà, le soleil décline à l’horizon et la mer prend les couleurs d’un miroir rose et or.
– “Messieurs, que diriez-vous de poursuivre cette passionnante histoire autour d’un bon repas?” Le Dr. Khalil n’oublie pas que, comme disait à peu près le philosophe Montaigne, “Science sans appétit n’est que ruine de l’âme”… Le médecin qui est passé nous ausculter nous a bien recommandé de rester à la maison, mais quand on revient de loin, on ne peut rester en place. Tout comme Klaus, j’ai une violente envie de sortir longer la Corniche et dîner en ville dans un de ces petits restaurants vivants et bruyants qui vous rappellent à chaque seconde que vous n’êtes pas dans le glacial royaume des morts.
La nuit vient de tomber quand nous sommes sortis. Une nuit à la fois profonde et toute illuminée d’étoiles et des lampes de la ville. Alexandre et ses menaces, les rayons radioactifs et le tombeau profané du sarcophage disparu me paraissent bien lointains. Pourtant, cachés dans l’ombre d’une rue sombre, les mystérieux Alexandre de la secte doivent nous espionner en ce moment. Cette idée me fait frémir un instant. Ils n’oseront pas nous attaquer en pleine rue alors que tout le monde est dehors, me dis-je en moi-même pour me rassurer. Mais nous arrivons au restaurant et j’oublie bien vite ces mauvaises pensées.
A notre retour, vers minuit, après un dîner réparateur copieusement arrosé de Rubis d’Egypte, une lettre nous attend, épinglée sur la porte de l’appartement du Dr. Khalil.
– “De nouvelles menaces?”, demande Klaus avec un sourire.
– “Pas du tout, c’est la police, répond l’archéologue. Nous avons rendez-vous demain matin au bureau de l’enquêteur Ahmed Mostafa. C’est visiblement très important: il a déjà trouvé quelque chose”.
3838 Épisode 8 : Lorsque la réalité dépasse la fiction (4/4)

Dix heures précises. Nous sommes au commissariat central de la police des Antiquités. L’enquêteur Ahmed Mostafa se fait excuser quelques minutes avant de nous recevoir. On nous offre un thé brûlant pour nous faire patienter. Peine perdue. Klaus, le Dr. Khalil et moi-même sommes bien trop curieux de connaître les premiers éléments de l’enquête pour rester calmement en place. Klaus fait de longues allées et venues dans le couloir que traversent des policiers en uniforme blanc d’été.
– “Messieurs Khalil, Klaus et Omar, s’il vous plaît!”
L’enquêteur Ahmed Mostafa est un homme petit, chauve comme un oeuf, le regard caché derrière de grosses lunettes et le nez enfoui dans une épaisse moustache. Apparemment, cette nouvelle enquête ne l’impressionne pas le moins du monde et son principal souci semble surtout de ne pas faire de vague, surtout pas laisser cette mystérieuse affaire devenir l’affaire du siècle.
– “Vous savez, nous dit-il avec lassitude, pour moi, Alexandre le-Grand, c’est vraiment des contes pour enfants. Toute ces vieilleries pour touristes m’ennuient profondément…”
Je vois alors le visage du Dr Khalil devenir blême, mais il ne dit rien. Klaus, très agacé, ne prend pas plus la parole. Nous attendons tous les fameux “premiers éléments de l’enquête”.
– “Résumons-nous. Que s’est-il réellement passé?” L’enquêteur allume une cigarette. “Vous, Dr. Khalil, vous cherchez depuis longtemps un tombeau dont on a perdu la trace depuis des siècles. Vous pensez le trouver dans les sous-sols de la mosquée Nabi-Daniel. Au fait, vous avez les autorisations officielles pour ces fouilles? Ca vaudrait mieux pour vous”.
Le Dr. Khalil est maintenant rouge de colère. L’enquêteur poursuit.
– “Des petits plaisantins arrosent un matin les sous-sols avec du sang de mouton. Nous avons fait les analyses. C’est de mauvais goût, d’accord, mais il n’y a pas de quoi fouetter un chat! A propos de chat, d’ailleurs, les têtes retrouvées sont bien celles de vrais chats, ces animaux qui se multiplient dans nos rues. Dans la salle du fond où vous prétendez que se trouvait le sarcophage d’Alexandre, il n’y avait rien, ni même des traces sauf celles de vos pas, Monsieur Klaus. Quant aux pierres prétenduement “radioactives”, permettez-moi de vous dire que vous lisez trop de romans de science-fiction. L’ingénieur Wael a reconnu lui-même que son appareil de détection était déréglé. Bref, tout me paraît clair et net comme de l’eau de roche. L’enquête se poursuit et nous attraperons bientôt ceux qui s’amusent à ces farces d’étudiants. Peut-être s’agit-il de certains de vos élèves, monsieur le professeur, qui auront voulu rire de vous?”
– “Mes étudiants ne sont pas des criminels, répond le Dr. Khalil avec rage. Mais excusez-vous nous devons partir”.
3939 Épisode 9 : Suite et fin (1/5)

Dans la rue, nous sommes tous les trois comme assommés. Ainsi, il ne s’est rien passé! Les menaces de mort en grec antique, les radiations, la porte de bronze brisée… rien que des amusements de potaches en vacances! Khalil est furieux.
– “Vous avez entendu comme il parle du tombeau du plus grand conquérant de la terre qui a poussé ses armées depuis la Méditerranée jusqu’à l’Indus?”
Klaus intervient alors: “Il est clair que cet enquêteur ne fera rien pour nous. Eh bien, nous ferons nous-mêmes notre propre enquête! J’ai d’ailleurs ma petite idée là-dessus. Que diriez-vous d’aller visiter encore une fois les catacombes?”
– “Je ne comprends pas pourquoi, bougonne le Dr Khalil, mais enfin, c’est votre idée. Allons-y!”
Aussitôt dit, aussitôt fait. Klaus, en descendant l’escalier souterrain, va droit à la salle de banquet funéraire. Quand nous entrons à notre tour, le Dr Khalil et moi, notre ami est en train de ramasser par terre des petits morceaux de poteries rouges et noirs en murmurant: “j’en étais sûr!”
– “J’en étais sûr, je l’aurais parié!” Klaus martèle ces mots avec une évidente satisfaction. Le Dr Khalil me regarde avec de gros yeux interrogateurs. J’explique alors:
– “Ce n’est pas la première fois que nous trouvons dans cette salle de banquet funéraire de tels tessons de poterie rouge et noire. De toute évidence, il s’agit de vaisselle grecque antique cassée là après un usage tout récent. Mais le plus curieux, cher professeur, c’est que Klaus a reçu, le même jour que celui des menaces de mort des Alexandre, un petit paquet avec des poteries de la même époque. Sans doute un cadeau des Alexandre pour prix de son abandon des recherches…”
Le Dr Khalil est de plus en plus intrigué. “Mais qui peut bien s’amuser à casser des pièces de musée ici, dans ces catacombes?”
– “Justement, voilà ma piste!” Klaus entre dans la discussion d’un ton triomphant. “Avouez que mon idée de revenir visiter ces fameuses catacombes était loin d’être sotte”.
4040 Épisode 9 : Suite et fin (2/5)

Au regard toujours un peu vide du Dr Khalil, on comprend aisément qu’il saisit difficilement ce qui rend Klaus si enthousiaste. Notre ami allemand doit s’en rendre compte et se met à son tour à résumer toute l’affaire.
– “Voilà: des personnes encore non identifiées sont venues ici à plusieurs reprises manger dans cette salle de banquet funéraire des catacombes. Quel meilleur endroit, la nuit, pour être à l’abri des regards indiscrets? La zone archéologique est en effet désertée à 5 heures du soir. Leur repas semble avoir suivi les règles antiques et c’est dans la vaisselle d’époque hellénistique qu’ils ont mangé. Curieux, n’est-ce pas? Moins curieux cependant si on remplace ces gens non identifiés par la secte des Alexandre!”
– “Vous ne croyez pas que vous allez un peu vite en besogne?”, interrompt le Dr Khalil. Klaus paraît fâché que l’on mette en doute son génie déductif.
– “Enfin, faut-il donc tout vous dire? Les Alexandre, sans aucun doute des descendants du grand conquérant ou des Ptolémée, découvrent avec horreur que vous, professeur Khalil, vous avez enfin obtenu les autorisations de fouiller sous la mosquée Nabi-Daniel où est caché le tombeau d’Alexandre. Ils font tout pour vous empêcher de commencer les travaux: brûlent votre bibliothèque, vous menacent plusieurs fois de mort, menacent enfin de tout ensanglanter dans les sous-sols de Nabi-Daniel. Vos ouvriers avaient trouvé la fameuse porte de bronze – dont le vieil employé d’ici parlait comme d’une porte “en or pur” -, il leur fallait agir vite. Sans doute ont-ils, eux qui respectent tant les traditions antiques, réuni toute la secte pour prendre leur décision dans ces catacombes. Le lendemain, nous avons trouvé avec Omar les premiers restes de leur repas. Puis ils ont enlevé le sarcophage d’Alexandre juste avant que vos ouvriers ne le découvrent et l’ont enfoui à nouveau après un banquet funéraire comme l’exige la coutume. En voici les restes. Mon raisonnement satisfait-il ces messieurs?”
Le Dr Khalil a ôté ses grosses lunettes couvertes de buée qu’il essuie consciencieusement, histoire de se donner le temps de la réflexion.
– “Mais ce que vous dites là est tout bonnement… incroyable!”
– “Incroyable, mais vrai à tous les coups”, répond Klaus. “Et mieux que ça, je pense que nous sommes actuellement tout près du sarcophage du grand homme. Quel plus bel et plus traditionnel endroit que ces catacombes? Aidez-moi à sonder les murs”.
Et sans prendre le temps de pousser plus loin la discussion, nous descendons dans le plus beau tombeau, taillé dans la roche, tout au fond du monument.
Je revois toujours cette tombe de l’époque romaine, gravée à dix mètres sous terre au fond des catacombes, avec la même émotion. Quel superbe ensemble! Entre deux colonnes aux chapiteaux en forme de papyrus, s’ouvre la pièce mortuaire. Carrée, petite, elle est surchargée de bas-reliefs où les dieux de l’ancienne Egypte ont des corps et des drapés aux rondeurs romaines ou grecques. Au fond, un sarcophage de pierre recouvert d’une lourde dalle émerge de l’eau. Les inondations, qui ont obligé l’organisme des Antiquités à faire courir des planches dans les pièces et les couloirs posées sur de larges cubes de béton pour les visiteurs du monument, donnent au tombeau une dimension plus extraordinaire encore. On a l’impression de visiter une cité perdue qui s’enfonce dans la mer ou qui vient seulement d’en réapparaître. Qui n’a pas rêvé de l’Atlantide?
– “Avez-vous remarqué les visages sur les boucliers sculptés à l’entrée de la tombe? Ils ressemblent étonnamment à ceux que nous voyons sur ce sarcophage de pierre, n’est-ce pas? Et je leur trouve un petit air de famille avec Alexandre”.
4141 Épisode 9 : Suite et fin (3/5)

Klaus et le Dr Khalil ressortent du tombeau pour vérifier ce que j’avance. Ce détail m’a attiré lors de ma première visite des catacombes avec Klaus, voici plus d’une semaine.
– “Mais vous avez parfaitement raison, mon cher Omar”. Le Dr Khalil, ses grosses lunettes sur le nez qu’il ajuste tantôt comme une longue-vue, tantôt comme un microscope, détaille le motif. “Un visage de jeune homme, un nez droit comme les Grecs, des cheveux bouclés… tout le portrait d’Alexandre le Grand. Désolé pourtant de refroidir un peu votre enthousiasme mais ceci ne prouve pas grand chose. Le visage d’Alexandre était devenu si mythique qu’on l’a utilisé à l’époque hellénistique puis à l’époque romaine comme un motif de décoration et un sujet de sculpture très appréciés des riches “amis des Arts” comme des militaires. Il est très commun de trouver ce visage que tout le monde méditerranéen et oriental connaissait par les pièces de monnaie d’argent et de bronze, sur des boucliers, des armes, des boucles de ceintures ou sur des peintures et des mosaïques”.
Pendant que nous parlons, Klaus court dans toutes les pièces en sondant les murs. On le croit encore dans la chambre de Caracalla qu’il est déjà passé dans une autre galerie toute découpée de niches et de tombes. On peut le suivre au bruit, au martèlement sourd contre les murs de roche friable.
– “ C’est vraiment extraordinaire, nous sommes dans un immense gruyère”, s’exclame notre ami avant de poursuivre, toujours plus exalté: “Voyez ces parois, ces murs taillés à même la roche… Il n’y a qu’à pousser un peu fort et la main passe de l’autre côté du mur, dans une autre pièce. Il y a mille et un trous ici pour cacher un sarcophage!”
– “ J’espère qu’on ne passera pas mille et une nuits à chercher ce fameux tombeaux!” Le Dr Khalil commence, au fond de ce puits et de ces souterrains, à manquer d’air.
4242 Épisode 9 : Suite et fin (4/5)

Klaus nous rejoint, un large sourire en travers du visage. “Je sens qu’il est là, je ne sais pas pourquoi mais je le sens”. Il fait claquer une planche en déséquilibre et s’avance vers le cercueil de pierre couvert du tombeau inondé.
– “Et si, tout bêtement, Alexandre était là-dessous?”, dit-il soudain en s’agenouillant comme pour surprendre quelque chose d’insolite à travers les fissures de la pierre.
– “Tout bêtement? Mais rien de ce qui concerne Alexandre ne se fait tout bêtement!” Le Dr Khalil n’aime pas ces manques caractérisés de respect envers le grand personnage.
Déjà, Klaus tire de sa poche des allumettes pour éclairer un peu l’intérieur par le trou qu’il vient de trouver au niveau d’un oeil sur le visage d’un Alexandre de décoration.
– “Vous arrivez à voir quelque chose?”
– “Non, rien… mais je sens comme un courant d’air qui vient du cercueil, qui vient du fond de la terre…”
J’hasarde: “un passage secret, peut-être?” Le courant d’air vient de souffler l’allumette de mon ami allemand qui bondit comme un beau diable hors de sa boîte.
– “Vite, aidez moi à retirer cette dalle!”
Le Dr Khalil remonte ses manches, tout comme moi, mais au bout d’une demi heure d’efforts, il faut abandonner. Cette dalle est trop lourde ou scellée dans la pierre. Nous avons cassé une dizaine de planches de bois que l’humidité a rendues fragiles et nos leviers n’ont pas fait bouger la dalle d’un centimètre.
– “C’est bien trop dur pour nous, déclare le Dr Khalil en s’épongeant le front. Et puis il me faut des autorisations officielles de fouille! Rentrons. Rejoignez vos hôtels. Je me charges de tout. Demain, Inch’Allah, nous trouverons enfin le sarcophage d’Alexandre!”
4343 Épisode 9 : Suite et fin (5/5)

Dimanche matin. 9 heures. Comme à mon habitude, je vais acheter mon journal avant de prendre un petit déjeuner léger dans un salon de thé du centre ville. Quelle n’est pas ma surprise alors, et ma terreur, de lire en gros titre rouge: “Catastrophe dans les catacombes d’Alexandrie: L’archéologue Khalil Hussein disparaît dans un effondrement de terrain”. Je ne peux m’empêcher de pousser un cri d’horreur. Au bout d’un instant, ayant retrouvé mes esprits, je lis l’article.
“Jamais on ne retrouvera le tombeau d’Alexandre! La malédiction du grand conquérant a une nouvelle fois frappé, après les mystérieuses disparitions, au XIXe siècle, de trois membres de la famille royale de Mohammed-Ali qui auraient découvert le fameux tombeau. Cette fois-ci, il s’agit de l’éminent archéologue, le Dr Khalil Hussein, qui fouillait apparemment seul hier en fin d’après-midi, dans les catacombes. Vers 17h30, le quartier aux alentours a été mis en émoi par un grondement terrible et une épaisse poussière blanche qui s’éleva ensuite de la zone archéologique. Tout le réseau de souterrains et des catacombes venait de s’effondrer, emportant avec lui celui qui s’était juré de découvrir le mystérieux tombeau d’Alexandre le Grand…”
Je referme le journal, les larmes aux yeux. Un cri de mouette, au loin, déchire le ciel.
FIN